29.7.12

Chroniques de l'oiseau à ressort - Haruki Murakami


"J'étais debout dans la cuisine, en train de me faire cuire des spaghettis, et je sifflotais en même temps que la radio le prélude de La Pie voleuse de Rossini, musique on ne peut plus appropriée à la cuisson des pâtes, lorsque cette femme me téléphona."

Ce livre m'a été recommandé par mon osthéopathe. Nous partageons une passion pour Murakami, je lui ai demandé conseil. Il m'a dit que celui-là était particulièrement indiqué dans mon cas, alors que je sortais d'une sévère crise de nerfs. "Je n'ai qu'une phrase à vous dire : Un homme seul au fond d'un puit." Je suis sorti de son cabinet, j'ai été l'acheter. Mon osthéo a bon goût.

Chroniques de l'oiseau à ressort est un chef d’œuvre, fort et délicat, fantastique et ancré dans le monde réel, descriptif et poétique. Du très bon Murakami, parmi les meilleurs selon les connaisseurs.

"La grandeur de ce spectacle dépassait largement les limites de la conscience d'un être humain ordinaire tel que moi, et tandis que je le contemplais, il me semblais que ma propre conscience se dissolvait peu à peu." p193

Le héros, un quadra japonais comme un autre (du moins au début) est au chômage, un peu seul, un peu paumé. Dix pages après le début, je m'identifiais déjà. Dix pages plus loin, sa femme le quitte, sans explication, sans lui dire. Un soir, elle ne revient pas. La vie du héros bascule.

"Peut-être que je vais perdre. Ou me perdre. Ou que je n'arriverai finalement nulle part. Peut-être que tout est tellement détérioré que je ne pourrai rien réparer, malgré mes efforts acharnés. Peut-être suis-je seulement en train de fouiller inutilement les cendres d'une maison en ruine, et que je suis le seul à ne pas m'en rendre compte. Peut-être que personne ne parierait sur moi. "ça m'est égal", dis-je d'une voix basse, mais ferme, à quelqu'un qui était là. "Voilà tout ce que je peux dire : au moins, j'ai quelque chose à attendre, quelque chose à chercher." p475

Tout ce que j'aime chez cet auteur se retrouve ici. Le plaisir d'enchaîner des moments simples :

"Une fois à la maison, je commençai comme d'habitude par allumer la radio et m'attabler dans la cuisine devant une bière. J'avais envie de parler à quelqu'un. Parler de n'importe quoi, du climat, des politiciens véreux, mais me livrer à cette activité humaine dénommée "parler"." p522

...avec des excursions en profondeur.

"Ce n'est pas de l'ordre du mieux ou du moins bien. Si rien ne vient contrecarrer le courant, ce doit s'élever s'élève, ce qui doit descendre descend. Quand on est en courant ascendant, le mieux est de trouver la plus haute tour et de grimper au sommet, et quand on se dirige vers le bas, il vaux mieux descendre tout au fond du puits le plus profond. Quand il n'y a pas de courant, il vaut mieux ne rien faire du tout. Mais si l'on va à contre-courant, tout se dessèche et le monde devient ténèbres. " p70

C'est une histoire de dépression, même si le mot n'est jamais utilisé. Mais sans aucun pathos, sans larmes. La disparition de l'espoir, puis son retour.

Ce roman contient l'ultime explosion : la scène du puit. Je ne la décrirai pas ici, je vous souhaite le même plaisir que celui que j'ai ressentit.

J'ai relu cette scène plusieurs fois. Je rêve qu'un jour quelqu'un me demande de lui raconter une histoire. Je pourrai alors m'enflammer, me lancer dans ce récit épique que m'avais recommandé mon ostéopathe. L'histoire d'un homme seul au fond d'un puit.

Chroniques de l'oiseau à ressort, Haruki Murakami, 1994

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