21.5.12

Ainsi parlait Zarathoustra - Friedrich Nietzsche

"Quand Zarathoustra eut atteint l'âge de trente ans, il quitta son pays natal et le lac de son pays et alla dans les montagnes."

Je ne suis pas un spécialiste de Nietzsche, et je ne le deviendrai jamais. Mais je suis vraiment heureux de l'avoir lu, j'ai eu la chance d'ouvrir ce livre au bon moment. A 30 ans, Zarathoustra partait dans les montagnes. De mon côté j'ai craqué nerveusement, finalement quitté mon poste et peut-être mon métier. Tout en lisant Nietzsche.

Il m'aura fallu six mois pour venir à bout d'Ainsi parlait Zarathoustra. Ces six mois ont également été une période de crise professionnelle intense. La tension est montée progressivement, les conflits sont devenus plus fréquents, plus violents. Mais chaque soir, Nietzsche me donnait de sa force.

"Il y a en moi quelque chose d'invulnérable, que rien ne saurait recouvrir, quelque chose qui fait éclater les rochers : cela a pour nom ma volonté, quelque chose qui marche en silence et immuable à travers les années." p138

Je l'ai d'abord utilisé comme un produit dopant. Mais ce livre est devenu bien plus que cela : un réel soutien, un guide dans mes réflexions. Nietzsche est un maître exigeant, intolérant, violent. Il s'énerve de la lenteur de ses élèves, aime frapper fort.

"Ma parole va déchirer le fond de vos âmes; je veux être pour vous un soc de charrue" p116

J'ai eu besoin de cette exigence, de cette fureur. A force de conflit, j'ai perdu tout contrôle sur la situation. Et donc sur ma vie. Je ne dormais plus, ne mangeais plus.

J'ai longtemps connu des difficultés pour expliquer cela à mes proches. J'ai finalement trouvé une phrase magique, universellement comprise : "je suis tombé sur un connard".

"Moi, ramper ? Jamais encore je n'ai, de ma vie, rampé devant les puissants." p208

Je n'oublierai jamais ce malaise. Quand un matin, dans le RER, j'ai lu cette phrase. Un défi de plus lancé par Zarathoustra l'intransigeant. Mais cette fois je n'ai pas pu me mettre dans la peau du personnage. Chaque jour, je m'écrasais devant quelqu'un qui n'avait pourtant rien de puissant ou d'impressionnant.

Mon supérieur hiérarchique m'a dit que je ne connaissait pas mon métier, que je n'avais pas l'esprit d'équipe. Il m'a dit que j'avais un problème d'éducation, de rapport à l'autorité. Il m'a fait porter le poids de ses échecs. Durant des mois, il m'a constamment rabaissé.

Au cours de ces six mois, chaque jour mon boss me disait que je n'étais capable de rien, et Nietzsche que tout était possible.

Et un jour, l'humiliation de trop. 9h du matin, au milieu d'un open space, devant tout mes collègues, il hurle. Que je suis pas professionnel, que je ne connais pas les bases du métier.

 J'ai craqué. Mon corps m'a dit stop, il a refusé d'encaisser quoi que ce soit de plus, et mon médecin lui a donné raison.

"On a convaincu votre esprit du mépris de ce qui est terrestre, mais non vos entrailles : ce sont elles, ce qu'il y a en vous de plus fort !" p149

Cet arrêt maladie m'a pris par surprise. C'était mon premier. Outre la récupération physique, j'ai pu prendre le temps de me documenter.

J'ai découvert que mon histoire est tristement banale. Que des burn-out sont plus fréquents qu'on ne le croit, que toute les entreprises sont concernées. J'ai découvert que j'avais le bon profil pour cela.

"Vous qui aimez le travail acharné et tout ce qui va vite, tout ce qui est neuf et inconnu, - vous vous supportez mal, votre assiduité n'est que malédiction et volonté de vous oublier vous même." p62

J'ai été stupide. Je pensais qu'il suffisait de baisser la tête, et que mes efforts finiraient par être reconnus. Mais avec cette logique, j'ai perdu de vue mon intégrité. Je me suis écrasé pour avoir la paix. Je paye encore cette erreur.

"Il est dur de vivre avec les hommes, parce que se taire est si difficile. Surtout pour un bavard." p172

Dix jours plus tard, je suis revenu pour demander une rupture conventionnelle. Je l'ai obtenu rapidement. Je suis parti avec une prime, des allocations chômage, et beaucoup de soutien de mes collègues.

D'un coup tout change, après deux ans de présence et un an de conflit. Ivresse.

"Silence, silence ! Le monde à l'instant, ne vient-il pas de devenir parfait ? Que m'arrive-t-il donc ? " p324

"Mon bonheur est insensé et il va dire des choses insensées : il est encore trop jeune, aussi soyez patients avec lui. " p104

Je suis sorti du piège. Mais j'en suis sorti dans un état pitoyable. Mon corps a trop encaissé, et il m'a bien fait sentir qu'il n'a plus vingt ans. Mes premiers cheveux blancs sont apparus. Plus d'un mois après être parti, je n'arrive toujours pas à dormir sans médicaments. J'ai parfois des difficultés pour respirer.

C'est la fin d'une période importante de ma vie. Mais c'est surtout le début de la prochaine, et je n'en peut plus d'attendre. Ça ne pouvait pas s'arrêter là. Se retrouver à vide, journaliste au chômage, seul dans un minuscule appartement, n'a jamais été une solution acceptable. Je le sais depuis longtemps : il ne suffit pas de partir.

"Tu te dis libre ? Je veux entendre ta pensée maîtresse et non pas apprendre que tu t'es libéré d'un joug." p82

Une idée a émergée lentement au cours de mes derniers mois en poste : j'ai un projet. Je vais créer mon propre emploi dans un domaine qui me passionne, le tout dans un secteur en croissance. Rien que ça. Mon idée, mon entreprise, et pas de supérieur hiérarchique.

"Mes amis, que votre moi tout entier soit dans l'action [...] cela doit être, à mon sens, votre mot de la vertu." p 119

Avant de partir tête baissée vers mon idéal, je dois encore me remettre de cette période. Moralement, cela va déjà beaucoup mieux. De bons amis et de saines lectures. Il me reste à me réconcilier avec mon corps. C'est encore Nietzsche qui m'a suggéré la méthodologie à adopter : rire et danser.

"Et que soit perdue la journée où l'on n'ait pas dansé une seule fois ! Et que soit fausse pour nous chaque vérité, auprès de laquelle il n'y ait eut au moins un éclat de rire." p254

J'écris ce texte dans une maison en Bretagne, à cent mètres de la mer. Il fait beau, je suis chez des amis, une fête est prévue ce soir. Je prend mon mon cas très au sérieux.

"Joyeusement prêt pour les guerres et les fêtes" p335

Aujourd'hui je sort de trois mois de crise de nerf et de six mois de dépression. Récupérer physiquement ne suffira pas, mes amis ont assez insisté sur ce point : je vais devoir me reconstruire. Ne pas brûler les étapes. Mai j'ai tellement faim, tellement envie de vivre que je supporte difficilement le repos dont j'ai besoin.

"Debout ! se dit-il à lui même, dormeur ! Faiseur de grasse matinée, en plein midi. Allons, debout, vieilles jambes ! Il est temps et grands temps, il vous reste encore bien du chemin à faire. Maintenant, vous avez assez dormi, combien de temps donc ? Une demi-éternité ! Allons, debout, vieux cœur ! Combien de temps es-tu en droit de veiller, après un tel sommeil ?" p326

J'ai tellement hâte de lancer mon projet de toutes mes forces, de me sentir vivant à nouveau ! De retrouver cet enthousiasme qui me défini, qui est ma vraie nature !

"Un arc qui brûle d'avoir sa flèche, une flèche qui brûle d'aller vers son étoile." p259

Le plus important est acquis : j'ai retrouvé mon intégrité. Elle est là, à mes côtés, elle m'aide au quotidien. Elle me donne la patience, la certitude que j'avance dans la bonne direction. Je mesure à quel point elle est précieuse, et je ferai tout pour la conserver.

Je repart sur des bases plus saines que jamais. Six mois épuisants, mais j'en ressort plus adulte, plus fort. Je ne me laisserai plus jamais piétiner, quelque soit le contexte.

Et quand je relirai Ainsi parlait Zarathoustra, dans dix ans, cela ne provoquera pas de crise. Je me souviendrai de mes trente ans, de mes erreurs, et je me préparerai pour de nouveaux défis.

"Ceci est mon matin, mon jour commence, lève-toi, lève-toi, grand midi ! Ainsi parlait Zarathoustra et il quitta sa caverne, rayonnant et fort comme un soleil du matin venu de montagnes sombres." p381 et fin

Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche, 1885

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