"Notre imagination est peuplée de fantômes"
Ce livre est un trésor. Il m'a été conseillé par un vieux hippie hollandais qui revenait d'Inde, et qui squattait mon canapé grâce à une autre squatteuse qui l'avait incrusté. Un mec sympa, mais pas le genre dont tu attendrais le conseil littéraire qui va changer ton été. Surprise.
L'histoire de la vie intime. L'amitié, le sentiment de solitude, l'envie de réussir, la gestion des conflits. L'angle d'étude choisi est le plus large possible: l'humanité, à toutes les époques.
"Au cours de l'histoire, l'amour a le plus souvent été considéré comme une menace pour la stabilité de l'individu et de la société, car la stabilité était généralement plus appréciée que la liberté. Dans les années 1950 encore, un quart des fiancés américains se disaient follement amoureux, et en France, moins d'un tiers de femmes déclaraient avoir connu un "grand amour"." p89
"la première religion au monde à montrer un certain enthousiasme pour le commerce fut l'Islam. Mahomet lui-même s'y étais livré, et sa première femme était une importante femme d'affaire de la très mercantile ville de La Mecque" p161
Chaque chapitre commence par le portrait d'une femme française. Elles sont très différentes, étudiante, directrice de magazine, cuisinière, garagiste retraitée. Ces pages sont profondément touchantes, les conversations profondes.
"Les femmes que caressent les moelleux tricots de Givenchy ne sentent pas la main de Nina, bien que ce soit elle qui couse leurs vêtements et mette les boutons. Elles n'ont pas la moindre chance même de l'apercevoir dans les salons du grand couturier, car elle travaille dans une usine qui se trouve à plus de 300 kilomètres. En fait, Nina n'est jamais allée à Paris; jamais elle n'a été conviée à voir parader les mannequins dans les vêtement qu'elle a cousus. "Si j'avais l'occasion d'assister à un défilé de mode, je serais mal à l'aise, parce que je ne suis rien; je ne suis qu'une petite ouvrière, je ne compte pas. Je gagne le salaire minimum. Je me sentirais inférieure face à des gens qui ont de l'argent, parce qu'ils sont supérieurs à moi. "" p171
Tendresse. Cette façon très humaine d'aborder les choses rend la lecture de cette étude historique de 400 pages très agréable.
Théodore Zeldin est professeur à Oxford. Il a lu, et donne une bibliographie à la fin de chaque chapitre.
Si la plus grande partie du livre est une étude historique, il ne s'empêche pas d'imaginer le futur, et se permet même de tenter des conseils. C'est risqué, mais globalement bien négocié. Zeldin évite la posture du vieux sage, mais assume une vision pour l'humanité.
"J'ai écrit ce livre pour présenter l'expérience humaine comme une source où puiser un sentiment de but, sans aucune implication de fatalité, mais au contraire avec d'abondantes possibilités de choix" p462
Il est persuadé que nous allons encore faire beaucoup de progrès dans la compréhension, dans l'empathie. Encore idéaliste à 61 ans.
"L'objectif le plus durable de l'humanité a été de produire davantage d'humanité. Autrefois, cela signifiait avoir le plus d'enfants possible, mais la quantité de tendresse donnée à ceux-ci en est venue à compter davantage que leur nombre." p462
Les Françaises et l'Histoire intime de l'humanité, Théodore Zeldin, 1994, Fayard
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